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Lettre au chef de l’État : justice et travail, clés de la refondation nationale

le president abdourahamane tiani Lettre au chef de l’État Mon Général, Prions certainement, mais travaillons d’abord. Notre peuple a besoin de travailler, de toujours travailler, de travailler encore et encore. Ne me reprochez pas ma constance à vous parler de la libération des prisonniers politiques et de la lutte contre la corruption telles que le rêvent vos compatriotes, telles que l’attendent vos compatriotes. En vérité, c’est le coeur de cible de votre mission, ce qui devait être, parallèlement à la lutte pour la souveraineté nationale, la préoccupation centrale de votre mission. Car c’est la préoccupation centrale de vos compatriotes. À ces préoccupations centrales viennent se greffer, au fur et à mesure, d’autres sujets, non moins préoccupants. Vos compatriotes s’interrogent sur le sens à donner à tant de bruits, parfois inutiles, envahissants et trompeurs qui diluent malheureusement le travail à faire. Musulman convaincu et pratiquant orthodoxe, je suis parfaitement d’accord que nous devons, en toute chose par ailleurs, prier Dieu, l’implorer et implorer son assistance. Dans sa miséricorde infinie, le Créateur des cieux et de la terre, celui qui détient nos âmes, ne lâche jamais ceux qui lui sont dévoués. Continuons donc à prier le Tout Puissant, mais sans aucune ostentation.

Mon Général,
La prière, à elle seule, ne suffit pas à sortir le peuple nigérien de l’abîme dans lequel l’a précipité Issoufou Mahamadou et Bazoum Mohamed. Je sais qu’avancer le nom du premier lorsqu’il s’agit de désigner le loup à abattre ne plaît pas outre mesure dans certains milieux détenant encore, malgré le 26 juillet 2023, une parcelle de pouvoir dans ce pays. Pourtant, c’est cela, c’est lui l’Alpha et l’Oméga de toutes les misères dont nous subissons les contre coups aujourd’hui. Qu’il soit épargné, protégé et même auréolé de privilèges indus, c’est une autre affaire. Mais il est clair que tout redressement, toute refondation qui oublie la responsabilité des hommes pour se focaliser sur des programmes à réviser est une chimère. Car il ne s’agit pas, dans le cas de notre pays, de défaillance de textes ou et/ou d’absence de programmes. Le problème de notre pays, c’est la gouvernance. Or, lorsqu’on parle de gouvernance, on parle forcément de la responsabilité des hommes.

C’est d’ailleurs pour cette raison que vous aviez par ailleurs bien cernée dès le départ puisque vous avez parlé, le 28 juillet 2023, de mauvaise gouvernance entre autres raisons qui ont conduit notre pays dans le gouffre. Les contenus du forum envisagé ne rassurent pas. Ce sera, s’il se tient dans les conditions actuelles de préparation, ce ne sera pas porteur d’espoir pour ne pas dire que ça sera inutile. La véritable problématique demeure la gouvernance qui ne pourra être améliorée qu’à travers le prisme de la justice. Oui, la justice pour le peuple nigérien qui a été grugé, spolié et trahi par des hommes qui ont juré de le servir en toute loyauté. Il n’y a pas une autre voie à suivre. Ce sont les hommes qui ont failli, en toute responsabilité puisqu’ils ont fait prévaloir leurs intérêts personnels sur ceux du peuple nigérien.

Mon Général,
Lorsque j’allume ma télé et que je vois cette spirale de prières collectives et de lecture de Saint Coran, je pleure pratiquement en constatant que, encore une fois, le peuple nigérien est en train de glisser, lentement mais sûrement, vers des rivages où le fatalisme l’emporte sur le travail. J’ai l’habitude de rappeler qu’il est inutile de tresser sur des poux. Car tôt ou tard, vous serez obligé de défaire les tresses. Le Niger est dans cette situation incommodante où, pour refonder la gouvernance, vous avez curieusement choisi de revisiter les textes sans jamais sanctionner les délits et les crimes si graves qui ont fait des préjudices tout autant graves à notre pays. Cette litanie de prières, m’a dit un ami, n’est qu’une alchimie visant à éloigner les Nigériens des véritables sujets de préoccupation. Lorsque je lui ai relevé que nous sommes des musulmans et que la prière est indiquée dans la situation actuelle de notre pays, menacé d’agressions militaires, il m’a rétorqué que le gouvernant n’a pas besoin de ça lorsqu’il gouverne de façon juste. J’ai dû admettre que si vous aviez conduit une politique d’assainissement qui sanctionne les actes et les rapports, immoraux que certains de nos compatriotes ont eus avec les deniers et biens publics, vous auriez certainement gagné davantage en efficacité et en crédibilité. Le chemin que vous avez suivi est un raccourci, mais les raccourcis ne mènent pas forcément à bon port.

Mon Général,
Prions certainement, mais travaillons d’abord. Notre peuple a besoin de travailler, de toujours travailler, de travailler encore et encore. C’est la clé de la réussite. Mais, pour qu’il se mette au travail, il va falloir lui donner le bon opium, pas la vaine propagande qui distrait et éloigne des justes préoccupations, mais celle dont la doctrine est le travail. Seulement, demander au peuple de travailler exige du gouvernant qu’il soit juste, intègre et entièrement dévoué à l’intérêt général, pas à ceux de clans. C’est pourquoi vos compatriotes ne tarissent pas d’espoir de vous vous changer de fusil d’épaule afin de replacer la justice au coeur de la refondation, de la catharsis profonde à entreprendre pour gagner le combat de la gouvernance. Car, si nous gagnons ce combat, nous gagnerons forcément la lutte pour la souveraineté nationale.

Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)