Le Nigérien de la semaine : M. Abdourahamane Oumarou Ly
Je vous remercie de cette opportunité qui m’est donnée de me présenter à vos lecteurs.
Je suis M. Abdourahamane de Oumarou Ly, suis juriste de formation. Outre mon cœur de métier, je me passionne pour le livre, les questions sportives et culturelles.
Quel a été votre parcours académique ?
Je suis un produit de l’école publique comme tous les élèves de ma génération.
J’ai fréquenté la Faculté des sciences économiques et juridiques de l’Université Abdou Moumouni Dioffo de Niamey (Niger), puis l’Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux (France). Je suis sur le point de soutenir une thèse sur les modes de changements anticonstitutionnels des régimes politiques. Vous conviendrez avec moi que ce thème est d’une brulante actualité.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?
J’ai un parcours assez riche et varié. J’ai commencé à la justice où j’ai servi pendant plus d’une décennie, en occupant des postes tant à Niamey qu’à l’intérieur du pays. Ensuite, j’ai intégré l’ARM (Autorité de Régulation Multisectorielle ) devenue successivement ARTP (Autorité de Régulation des Télécommunications et de la Poste) puis ARCEP ( Autorité de Régulation des Communications Électroniques et de la Poste ) avant d’avoir l’opportunité d’aller à l’international dans une institution de l’Union africaine, depuis déjà 10 années.
Quel retenez-vous de votre parcours ?
Une assez bonne connaissance du Niger. Mes deux parents étaient du secteur de la santé, j’ai donc eu à sillonner le Niger, au gré de leur affectation. A mon tour, en tant que juge, j’ai servi dans les régions de Zinder, Dosso, Niamey, Kollo (Tillabéri), Mayahi (Maradi), Tillabéri. Je connais les huit régions du Niger et la plupart des départements.
Sans fausse modestie, je connais le Niger des villes et des campagnes, ses populations dans leur diversité. La justice étant l’observatoire par excellence des mutations sociales, j’ai pu appréhender l’évolution et les transformations rapides des mentalités, malheureusement pas toujours dans le bon sens : déchirements et drames familiaux, perversion des mœurs, méchanceté gratuite. Cela à travers, les litiges champêtres, les successions, les bagarres rangées, les affaires matrimoniales, en dépit de la religion musulmane ultra dominante. Aucun pan de la société ne semble épargner par cette déconfiture.
En plus de vos activités professionnelles, vous êtes également un écrivain, n’est-ce pas ?
Oui j’ai la passion de la lecture et de l’écriture. Je pense être plus un essayiste qu’un écrivain. La différence est que l’essayiste est amené à exposer ses idées et développer ses réflexions sur un sujet traité à la différence de l’écrivain plutôt attaché à la beauté de la langue en faisant parler son imagination.
J’ai à mon actif, en dehors des articles, la publication de 4 ouvrages aux éditions l’harmattan à Paris, sur des thèmes liés à la gouvernance judiciaire et politique : partis politiques, pratiques corruptives, accès à la justice, le coup d’Etat du 26 juillet 2023, lendemains qui chantent ou déchantent ? Sur toutes les problématiques abordées, j’essaye de proposer des pistes de solutions.
Le dernier ouvrage est d’actualité, pouvez-vous nous dire un mot ?
Effectivement, il aborde le coup d’Etat du 26 juillet 2023 dans ses composantes tridimensionnelles à savoir aux plans interne, régional et international.
Après avoir décortiqué la notion de coup d’Etat, la première partie traite des incidences internes des évènements, entre autres le patriotisme ou « Labusannisme », de la refondation et du souverainisme. Les sanctions injustes et illégales de la CEDEAO, décrédibilisée, ainsi que l’avènement de l’AES en constituent la deuxième partie. Quant à la troisième partie, elle aborde la perte d’influence de la France et le retour en force de la Russie en Afrique.
Il s’agit d’une analyse assez froide et objective de la situation, qui n’élude aucun aspect. Ni dans le soutien sans discernement, ni dans la critique facile. La classe politique a failli, les nouvelles autorités doivent faire mieux à travers des actes forts marquant la rupture d’avec l’ordre ancien. Elles ont pratiquement l’obligation de résultat.
Y a-t-il des pièges à éviter ?
Oui il y a des préoccupations récurrentes qui méritent une attention particulière. A y inclure sous ce chapitre, la satisfaction de la demande de justice sociale, la préservation de la cohésion sociale, le respect des règles de l’habeas corpus ; la liberté d’expression.
Également, méfiance envers ce que le premier Ministre Choguel Maiga appelle les « mauvais amis », c’est-à-dire les citoyens qui poussent vers des voies sans issue, sous le couvert de patriotisme et de souverainisme. C’est une posture de « plus royaliste que le roi ». A la différence du Mali, le Coup d’Etat du 26 juillet 2023 n’a pas été précédé par des mouvements sociaux ou des manifestations de rue; aussi les militaires ne doivent ils rien à personne, c’est leur « chose ».
Des voix s’élèvent de plus en plus pour demander de tourner le dos à la démocratie, qu’en dites-vous ?
Les gens font l’amalgame entre les principes démocratiques et leur perversion par les hommes chargés d’animer les institutions. Les standards démocratiques doivent être consolidés en permanence afin de contribuer à améliorer le bien-être des citoyens. A contrario, le renoncement à la démocratie conduit vers l’incertitude. Doit-on renoncer aux libertés individuelles et collectives, aux élections, à la reddition des comptes, à l’Etat de droit ? Non. Il est évident que la classe politique a failli ; dès la réouverture démocratique des années 1990, une certaine conception singulière du pouvoir a fait son apparition, à savoir qu’il est perçu non comme un instrument mais une finalité, le moment de se réaliser et d’accumuler, la « courte échelle » comme dirait l’autre. Cette conception singulière du pouvoir a altéré les deux grands moments de la scénographie politique que sont sa conquête et son exercice, avec au centre la place hyper-prépondérante de l’argent et tout ce qui gravite de mal autour.
Ceci pour dire que si la démocratie n’a pas donné les résultats escomptés, c’est bien la faute de ses animateurs, qui agissent en contradiction avec son essence : corruptions et infractions assimilées, favoritisme, fraudes électorales, injustices, opacité dans la gestion, lois lettre morte, pouvoir personnel, exclusion, répression et muselage de l’opposition. Et non de la démocratie.
Par conséquent, tout le défi de la transition se situe à ce niveau. Gouverner de manière vertueuse afin que la classe politique qui viendra aux affaires se rende compte que l’on pouvait diriger le pays autrement qu’eux le firent.
Il s’agit de favoriser des nouvelles mœurs politiques portées par des hommes intègres ; les textes n’ont pas besoin de grand nettoyage. Un regard rétrospectif permet de voir la foultitude des textes éprouvés sous les différentes républiques, sans résultats satisfaisants. Fort heureusement à travers les déclarations des nouvelles autorités, la Charte de la transition et le document intitulé "Pour le Niger, Laabu Sanni no, Zancen Kasa ne», qui reflète la vision globale de la refondation de l’Etat, un axe est consacré à « la promotion de la bonne gouvernance » ; la démocratie n’est pas remise en cause. Contrairement aux positions de certains laudateurs et autres opportunistes de tout acabit.
Vous portez un intérêt particulier sur la culture et le sport, quel est votre regard sur ces secteurs ?
Ce sont des secteurs qui ne sont pas au niveau où ils devraient se situer au vu du potentiel immense du pays. Aussi, devraient-ils faire impérativement partie du champ de la refondation. La littérature, la musique, le théâtre, le cinéma, les arts, pour ne citer que ceux-là, peinent à exister ; seuls quelques acteurs culturels sortent la tête de l’eau.
Même constat en ce qui concerne le sport ; en dehors de quelques rares disciplines qui organisent cahin-caha un championnat, la grande majorité est moribonde, sans sponsors, sans financement. Celles qui vont dans les compétitions internationales sont éliminées dès les préliminaires ou le premier tour. Cela pose la question du financement de la culture et du sport ; budgétivores certes mais puissants instruments de cohésion sociale et meilleurs ambassadeurs d’une nation. Lorsqu’en 2022, le Mena a atteint les demi-finales du CHAN, cela a suscité un réel engouement.
Je vous laisse le mot de la fin.
Je vous remercie pour l’intérêt porté à ma modeste personne.
Aux jeunes générations qui ont la lourde responsabilité de transformer le pays, je conseillerais de lire, l’apprentissage commence par la lecture ; elle est si indispensable que l’écrivain Bernard B. Dadié a pu dire que la lecture est irremplaçable.
Aux intellectuels d’animer le débat public et le porter à un niveau élevé ; force est de constater que s’il existe, il est le monopole des « activistes ».
Réalisée par Boubacar Guédé (Nigerdiaspora)